A tête et voix haute


Sacré « révélation masculine de l’année » aux dernières Victoires de la musique, le musicien et chanteur franco-camerounais Yamê a d’ores et déjà tout gagné : le style hybride de son 2ème projet, ELOWI, entre rap et chant haut perché, a été validé de part et d’autre de l’Atlantique par Stromae, Damso, Booba ou Timbaland et, surtout, sa mélodieuse inventivité a touché des âmes dans le monde entier. En revisitant de manière organique les codes de la trap et de la drill, ce passionné de jeux vidéos et de grosses motos qui slalome avec brio entre les genres et les références, cumule en effet, à ce jour, 900 000 abonnées sur Tik Tok (tout comme sur Instagram) et sa session Colors, postée en juin 2023, a été visionnée plus de 35 millions de fois !

Le festival breton des Trans Musicales ne s’y est pas trompé. En décembre 2023, après Lous and the Yakuza ou Zaho de Sagazan, il accueillait Yamê en résidence. L’idée : y créer son live puis le jouer cinq soirs de suite. Pari gagné : les concerts ont affiché complet et Yamê a transformé véritablement l’essai. Comme sur disque, la magie opère. Accompagné de trois musiciens et autant de choristes, Yamê maitrise la scène avec aisance et le public, conquis, en redemande. Ca tombe bien, il va être servi : le programme des concerts à venir de Yamé ne fait que s’allonger (et avec sa Victoire de la musique en poche, ça ne devrait pas se calmer).

Pour vous raconter l’ascension fulgurante de cet artiste autodidacte de 30 ans qui, en quelques mois, est passé de quasi-inconnu à révélation inclassable de l’année, PAM a choisi de revenir en sa compagnie sur quatre de ses punchlines. D’abord, parce que celui qui s’appelle Emmanuel Sow à l’état civil a choisi Yamê comme nom de scène et que chez les M’bo, au Cameroun, le pays de son père, cela veut dire littéralement « le verbe », ce par quoi tout a commencé si l’on croit la Genèse. Ensuite, parce que ces dernières années, ce « méga geek » qui s’est formé seul, sur Youtube, aux logiciels de son et de mix, a beaucoup « charbonné » pour traduire en mots ses pensées.

Ta clique me craint comme le bout-mara
Panafricain demain sera roi
Bantu bionic, j’suis sur Pandora

« Carré d’As » / Album Agent 237

Genèse et formation de l’agent 237

En 2020, Yamê a 27 ans. Après une licence d’Histoire, un master en management des informations et un poste dans la data au sein d’un grand groupe, il décide, à la faveur du confinement, de se lancer professionnellement dans la musique. Il sort deux 2 EPs : Bantu Mixtape Vol 1 et 2 et, un an plus tard, son 1er album.

Un opus, à l’image de ce titre, « Carré d’As », résolument rap.  Et pourtant, ce n’est pas dans les soirées « open mic » que Yamê a fait ses armes, mais dans les jam sessions parisiennes. Ces rencontres organisés dans les bars où chacun est libre de se joindre aux autres musiciens pour une performance de groupe : « j’y ai appris à faire du piano, à comprendre la musique, à jouer avec d’autres, à construire des morceaux pour la scène et puis, surtout, je m’y suis créé un réseau d’amis avec qui je fais de la musique aujourd’hui. »

D’abord caché derrière son clavier, où il perfectionné sa grammaire jazz/blues, ce fan de Hiatus Kaiyotte, reprend par la suite des chansons de soul ou de rock et notamment du groupe anglais Muse. Alors, pourquoi le rap pour ce 1er essai ? : « Parce qu’à l’époque, quand je commence à faire du son, ma priorité c’est d’écrire des paroles. Et j’ai tout à apprendre, car je n’ai jamais écrit une seule chanson ! Comme je n’avais pas envie de passer trop de temps à produire mes sons, je me suis entraîné sur des type beats (productions pré-enregistrées disponibles en ligne, NDLR). Et comme la plupart de ces instrumentales ne concernent que le rap, ça m’a enfermé dedans. Et puis, comme j’écoutais énormément de rap (LIM, Kery James ou encore Despo Rutti), j’ai cru que c’était forcément ce que je voulais faire. Aujourd’hui, j’ai toujours envie de faire du rap, mais ce n’est pas ce que je préfère. »

A ses débuts, il y a à peine 3 ans donc, Yamê choisi le rap pour s’exprimer et nomme son premier album Agent 237. “2.3.7” on voit, c’est l’indicatif du Cameroun. Après être né en région parisienne, Yamê y a vécu de ses 5 à 10 ans. C’est à Douala, la capitale économique, qu’il s’est forgé à la fois une oreille curieuse de différentes rythmiques (Papa Wemba, Meiway, Extra Musica mais aussi André Marie Talla, Ben et Grâce Decca, Fernandel ou Gainsbourg) et des doigts agiles sur les touches d’un piano. Plus tard viendront la basse, la batterie et un petit peu la guitare, parmi la « myriade d’instruments » mis à sa disposition par son père, l’auteur-compositeur, arrangeur, musicien et chanteur sénégalo-camerounais, M’backé Ngoup’Emanty. Au décès brutal de sa mère, la famille revient en France. Le patriarche remplace alors sa carrière-passion par un métier « plus stable » pour subvenir aux besoins de ses enfants et choisit d’habiter dans un tout petit appartement parisien pour qu’ils puissent accéder à de bons établissements scolaires. Ouvert et entouré, Yamê « reste positif, se fait des amis, et plonge dans le rap français, l’informatique et les jeux video. »

« L’Agent » de Agent  237, lui, fait référence au Bureau des légendes, « une série française d’espionnage que j’ai trop aimée, confie Yamê. Dans le côté « agent » il y a aussi ce truc de la diaspora où, au niveau de notre identité, quand on est enfant, on est partagé entre deux cultures, on est toujours un peu tiraillé entre les deux. Et c’est vrai que parfois on ne se sent chez soi ni d’un coté, ni de l’autre et donc un peu « en mission » ou comme dans la série « sous légende » (une identité fabriquée de toutes pièces, dans la dissimulation permanente NDLR)

Pour mener sa « mission » à bien, Yamê a choisi son personnage. Sur ce 1er album et depuis, il est  le « bantu bionic » : une expression très « wakandesque » formée du terme « bantu » qui signifie « humains » en kikongo (et aussi en douala, deux langues justement dites “bantoues” ) et de « bionic », un anglicisme qui renvoie à la biologie et l’électronique : « Je suis un méga geek, je ne peux pas m’arrêter, avoue-t-il. Et cette volonté de toujours trouver des solutions, souvent geek d’ailleurs, cette curiosité, je l’applique dans tous les domaines, y compris la musique. Et en même temps, je suis un Africain ayant conscience de mon africanité. Ces deux termes me définissent donc bien. D’un côté les racines, de l’autre cette technologie qui vient compléter les traditions et moderniser le continent. »

Pour changer de vie, j’ai dû hausser le ton (Ouh)
Trop de flow Mola, bah ouais, bah ouais
J’repère plus, j’connais tous les chemins (Tous les chemins)
Toi, t’fais que des trends, des sons sans lendemain
Quand j’opère, ça t’fait un peu d’changement (Ah)
Hein Mola, bah ouais, bah ouais, bah ouais

Extrait de « Bahwai », album ELOWI

L’appétit vient en chantant 

Après avoir sorti deux mixtapes, un album et une poignée de singles, soit le temps de se dire que ça ne marcherait jamais, puis de se convaincre que ça valait le coup de persister, Yamê comprend que ses mélodies, plus que son rap, vont lui permettre de « changer de vie ». Cela commence, à la rentrée 2022, avec le titre « Kodjo » : « Je chante sur ce titre, mais c’est pas là que j’ai le déclic. Je me dis simplement que c’est l’été, que j’ai beaucoup rappé, que l’ensemble est assez sombre et qu’il faut un peu de lumière et de chaleur dans tout ça. Et puis j’ai envie de me tester sur un son à consonance afro. Le véritable déclic, c’est Tik Tok, à l’hiver 2022 : je me mets à faire du piano/voix parce que c’est ce que je kiffe aussi, c’est ce que je fais à la maison mais que je ne partage pas car je suis dans le mood : faut que je fasse du rap ! Et là, dès la 1ère vidéo postée, ça marche et ça rend légitime ma démarche de vouloir chanter ! ».

Et parce que 2023 sera décidément une sacrée année pour Yamê, au mois de mars, l’une de ses impros est non seulement likée et commentée mais aussi musicalement augmentée par une légende américaine de la pop, le producteur Timbaland. Celui à qui l’on doit notamment de nombreux classiques de Jay-Z et Justin Timberlake, lui taille une prod sur mesure qu’il poste sur ses réseaux : « Enorme. Stupéfaction », commente humblement Yamê qui est toujours en contact avec « Timbo the King » et confirme : « Les Etats Unis ? J’aimerais bien. Ça va se faire, c’est sûr, bientôt ! »

En attendant « J’repère plus, j’connais tous les chemins », chante t-il sur « Bahwai ». Entendez : Yamê arrive préparé comme jamais dans le business et a monté sa propre société pour encadrer son travail dans la musique.

Chaque pas c’est un tremblement terrible, tu t’accroches ou tu pars à la dérive
Mon petit, viens pas test, on t’corrige, j’suis l’papa dans ma catégorie

Toute ma vie j’ai sauté les barrages, fuck eux, moi j’ai pas besoin qu’on m’arrange
J’suis trop loin, vu le skill et la cadence mais je charbonne, j’alourdis la balance

Extrait d’ « Ayo Mba », album ELOWI

C’est avec ce titre que Yamê ouvre son 2ème album, ELOWI. « Ayo Mba », en langue M’bo est « une expression qu’on utilise pour célébrer, c’est un peu comme « youpi », nous explique Yamê. Ce son célèbre le fait d’avoir choisi de faire de la musique mon métier. Et ce choix je l’ai fait après avoir vérifié que l’autre option, celle de travailler, en l’occurrence de créer des services informatiques qui permettent de transvaser de la donnée d’un point A à un point B, n’était pas intéressante. »

Non content de s’être lancé, Yamê a bel et bien trouvé son truc à lui : comme il le chante ici, il a créé sa propre « catégorie ». Et l’évolution est tellement troublante entre son 1er et son 2ème album, qu’on a voulu savoir comment et avec qui il avait trouvé ce son qui ne ressemble à aucun autre :

« La première étape c’était de choisir ma voix aigue, ma voix de tête, comme voix lead. Et le premier à me l’avoir conseillé c’est FLEM (celui que l’on nomme « le bras droit de la drill française », le rappeur, producteur et beatmaker franco-camerounais Joseph Doumbe NDRL). La 2ème étape, c’était de m’entourer pour faire les prod parce que les type beats c’était plus possible. Et pour ça, j’ai fait la bonne rencontre avec Pandrezz, mais aussi Kronomuzik et Epektase, la petite bande de Légendes industries avec qui on a produit le projet ELOWI. Avec Pandrez on voulait vraiment avoir quelque chose de très hybride dans les sonorités musicales. Avoir des points d’appui dans la trap, le hip hop mais en même temps se laisser la possibilité d’aller loin en termes d’orchestrations avec des sonorités brutes, acoustiques et faire un mélange de tout ça. Et puis j’ai passé mon temps à ré-écrire mes textes alors, je dirais que ce qui a changé depuis le 1er album, c’est le travail !

ELOWI, toujours en langue M’bo, signifie : qui n’est pas visible, perceptible, qui n’est pas manifeste. Un terme qui résume parfaitement ce qui se dégage de ce disque comme le confirme le principal intéressé : « Les gens qui écoutent du rap disent : c’est bizarre, c’est pas du rap pour moi mais j’aime bien. Les gens qui n’écoutent pas de rap, disent : c’est bizarre ce rap ! D’habitude j’écoute pas de rap, mais ça j’aime bien. Ce que j’en conclus – et j’ai choisi le nom du projet avant donc ça tombe bien – c’est qu’il y a quelque chose que les gens aiment bien mais qu’ils n’arrivent pas à saisir. Ils n’arrivent pas à mettre des mots dessus ou à enfermer ma musique dans un style et c’est tant mieux. Du coup, je fais du Yamê, je suis dans ma catégorie. »

Sankara, Cheikh Anta, négro, j’ai choisi mes modèles, c’est fiable comme un moteur allemand
En indé’, sans carats, sans chico, oui je fais quer-cro bien plus que les grands de tes grands
J’les té-ma pas, ils sont pas concentrés, j’attends pas la passe, ils peuvent pas centrer
J’suis bantu, me parle pas de basané, on n’est pas v’nus ici pour se pavaner

Extrait de « Bécane », album ELOWI

Avant même la sortie d’ELOWI en octobre 2023, le monde s’est laissé conquérir par le passage de Yamê, quelque mois plus tôt, dans le Colors Studio. Il en résulte une pastille vidéo minimaliste dont le principe – initié par un magazine en ligne berlinois – est simple mais diablement efficace : des artistes de tous horizons sont invités à interpréter seuls devant un micro un ou plusieurs titres de leur répertoires, le tout sur un fond unicolore, qui change à chaque invité. Celui de Yamê est couleur sienne et il y brûle l’un de ses titres, « Bécane »,  aujourd’hui « single d’or ». Yamê y vante la fiabilité des moteurs allemands en même temps qu’il évoque son mépris d’un business balisé. Mais ne nous y trompons pas, la vraie passion de Yamê – qui depuis une chute dans les escaliers quand il était enfant, n’a plus peur de se casser les dents sur quoi que ce soit – ce n’est pas la moto, c’est la liberté. Et lui est prêt à tout pour ça : « La bécane, c’est la métaphore de ce qui peut nous emmener vers un ailleurs, qui permet de sortir d’un enfer. À chacun son enfer. Pour moi, c’était la contrainte du travail informatique. Je chante que je prends tous les risques pour en sortir, quitte à finir sur un gros fer : un brancard ou une table d’opération ! »

Pour le clip, mis en ligne fin janvier 2024, ils ont été nombreux à sortir la bécane, chez lui, à Douala. La route, d’ores et déjà pavée de succès, est donc toute tracée pour Yamê qui rêve d’y jouer et, plus largement, de tourner sur le continent : « L’Afrique ça fait partie de mon héritage, de mon identité, donc j’aimerais bien allé montrer ce que je sais faire là-bas ».

En attendant, Yamê démarre sur les chapeaux de roues une tournée en France.  Sa date parisienne, le 22 février 2024 (Trianon) se jouera à guichet fermé, mais on peut déjà réserver pour l’Olympia le 6 février….2025 !




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